Céramique non tournée des ateliers des rives de l'Etang de Berre

[Patrice Arcelin
Jean Chausserie-Laprée
Nuria Nín]


Parmi les vases non tournés provençaux de l'Age du fer, un groupe s'individualise par une technologie particulière et une aire de diffusion délimitée. Il constitue un ensemble de productions qui introduit, pour la première fois dans la basse vallée du Rhône et dans cette catégorie céramique, la notion d'ateliers. Signalée sur une vingtaine de sites des deux rives de la basse vallée du Rhône (de la Roque de Fabrègues, dans l'Hérault, à Saint-Marcel, près de Marseille, et jusqu'au centre du Vaucluse), cette vaisselle était jusqu'à présent identifiée sous l'appellation générale, exacte mais imprécise, de 'céramique rhodanienne'. La fréquence très élevée de ce lot parmi les mobiliers issus des fouilles anciennes ou récentes effectuées à Saint-Blaise (Bouloumié 1982B, 176-177) et surtout dans la région de Martigues (habitats de l'Ile et de Saint-Pierre: Chausserie-Laprée 1988, 85), la variété du répertoire morphologique constatée, incitent désormais à proposer une aire de production mieux circonscrite: la bordure sud-ouest de l'Etang de Berre, sans que l'on puisse pour l'heure préciser davantage la localisation du ou des épicentres (aucune installation repérée: Arcelin 1986, 57 et 85, note 119; 1992, 313).
L'apparition de cette production est à placer dans la première moitié du Ve s. av. n. è., et sans doute plus précisément vers 475. Des prémisses pourraient être décelées dès les alentours de 500 (possibles au Marduel?). L'amplification de la fabrication doit s'accélérer régulièrement pour atteindre un fort développement après 450, avec une apogée dans les années 425-375. Dès le milieu du IVe s., il semble que les caractères qualitatifs antérieurs s'amoindrissent (à Martigues même, du moins dans une partie des ateliers producteurs) et que l'aire diffusionnelle se rétrécisse à la seule Provence occidentale (de la région de Marseille à Arles; arrêt des exportations vers la région nîmoise et les berges occidentales du Rhône). Cette diversification stylistique et une certaine banalisation technologique régionale ne permet pas de cerner précisément le moment de l'arrêt de l'activité des ateliers en tant que tels. Le terminus ante quem le plus récent est à placer vers 250 av. n. è.; mais dès les alentours de 300, nombre de centres producteurs ont dû commencer à péricliter.
Bien que leur façonnage prenne ses racines dans les habitudes régionales du modelage sans l'aide du tour (montage au colombin fortement écrasé ou par bandes préparées), bien que de multiples mains soient perceptibles, il se dégage de l'ensemble de la production (du moins à son apogée) deux caractères unificateurs en regard des produits indigènes locaux: une qualité du toucher (cuisson élevée et légèreté) et une certaine esthétique visuelle (rigueur dans le traitement des surfaces).
La maîtrise technologique est en effet le trait dominant des productions des Ve et IVe s.: minceur et régularité des parois; homogénéité et consistance de la pâte, obtenues à partir d'une argile naturellement dégraissée (particules non plastiques de moins de 0,3 mm) et d'une cuisson à température assez élevée (en meule ou en four à cuisson réductrice); soins particuliers apportés à la finition (le polissage principalement) et aux décors (pour l'essentiel sur les urnes, à l'épaulement). Autre critère de reconnaissance: une certaine normalisation morphologique des fabrications. Observée principalement sur le lot fortement dominant des urnes (ou pots), elle transparaît aussi bien dans les choix dimensionnels répétitifs (qui suggèrent l'existence probable de modules volumétriques) que dans les composantes des formes et leurs traitements de surface, véritablement standardisés. Ainsi les cols, de profil rentrant ou parallèle, sont prolongés par un bord déversé à lèvre épaissie; ils ont subi un polissage très régulier, linéairement interrompu au-dessus du décor de l'épaulement. Le peignage inférieur est organisé (au contact col-panse: peignage vertical recoupé d'impressions obliques; sur la panse: peignage horizontal puis en tous sens, formant parfois un véritable quadrillage). Le même soin extrême apporté au polissage se retrouve sur toute les formes ouvertes et les imitations fréquentes de vases tournés.
Parallèlement à leur succès propre, les urnes ont suscité dans l'ensemble de la basse vallée du Rhône de très nombreuses copies en pâte plus grossière et même visiblement contribué sur la rive droite, où ce type n'était pas répandu antérieurement, à la formation du style régional du second Age du fer (Py 1990, 402-403). Pourtant la diffusion en Languedoc oriental est très faible, limitée 'à quelques individus dans la région nîmoise' (ibid., note 271), entre 15 et 20 % des urnes non tournées à la fin du Ve s. près du Rhône (Le Marduel: Py 1992). Elle est par contre beaucoup plus conséquente au même moment sur l'autre rive où ce rapport peut atteindre 30% à Glanum et l'ensemble des formes composer de 20 à 50% du mobilier non tourné (à Glanum, au Castellet de Fontvieille, à Saint-Blaise ou à Martigues).
Le répertoire comporte une très large majorité d'urnes (CNT-BER U1: plus des trois-quarts des productions diffusées en Provence occidentale et plus de 90% en Languedoc oriental). Le second lot par l'importance quantitative n'est pas celui des coupes (C1) ou des couvercles (V1) et encore moins celui des jattes, dont la production est très ponctuelle (J1 ou J2); c'est celui des imitations de coupes tournées en vogue pour le boire et le manger (attiques et grises monochromes régionales: A1 et A2) et, plus secondairement, de vases fermés pour verser (cruches et oenochoés: A3 et A4).
Les fabrications des ateliers sont nettement orientées, durant un siècle et demi au moins, pour satisfaire en priorité les besoins de la cuisine et du petit stockage domestique: l'urne (ou pot) est partout le principal récipient de cuisson des communautés indigènes du Midi contemporain. Par contre, la modestie de la part des coupes traditionnelles (C1) ou des jattes (J1 ou J2), deux formes toujours bien confectionnées dans la technologie non tournée, est plus surprenante. Outre le fait que cette sélection morphologique confirme un mode organisationnel des ateliers, il souligne surtout le sens pragmatique et commercial des potiers (ou de leurs commanditaires?): confectionner et diffuser, en profitant de la dynamique d'un réseau économique en développement, une forme essentielle pour la vie quotidienne et qui ne soit pas déjà réalisée par d'autres officines régionales en l'occurrence celles tournant des vases à pâte claire (?), surtout en grise monochrome; plusieurs relevant de cette dernière technique et réalisant pour l'essentiel des coupes A1 ou C1, sont en effet présentes dès le VIe s. sur les rives ouest de l'Etang de Berre ou y diffusent largement (Arcelin 1984, groupe 2, aspects 1 et 3 ; groupe 7; et surtout le groupe 1 au Ve s., puis le groupe 6 au début du IVe s.).

Etudes régionales de référence pour la céramique non tournée des ateliers des rives de l'Etang de Berre:
Provence occidentale: Arcelin 1986 ; Chausserie-Laprée 1984 ; 1988.
Languedoc oriental: Py 1990.

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