Céramique non tournée
des ateliers de la région de Marseille
[Patrice Arcelin]
Un groupement d'ateliers a façonné en Provence occidentale une ample production céramique au cours des deux derniers siècles avant notre ère. Il s'agit exclusivement d'une vaisselle de cuisine, accessoirement de table, réalisée sans l'aide de la force centrifuge du tour, mais grâce à un modelage qui fait peut-être appel dans quelques cas à l'usage de la tournette pour la régularisation des bords. Apparemment peu compatible avec la notion d'une fabrication de masse, le maintien de telles pratiques à l'époque tardo-hellénistique dans l'arrière-pays de la métropole grecque s'intègre cependant pleinement dans le vécu culturel des populations indigènes du Sud-Est méditerranéen (voir les remarques sur les vaisselles non tournées protohistoriques du Languedoc oriental et de Provence). La nouveauté de cet ensemble céramique réside moins dans la mise en évidence de la réalité d'ateliers et de séries répétitives par les détails de façonnage ou la métrologie (notions déjà partiellement esquissées entre le Ve et le début du IIIe s. près de l'étang de Berre; voit CNT-BER), que dans les choix morphologiques, technologiques et commerciaux que l'on pressent (forte influence de prototypes tournés méditerranéens; la demande consumériste du monde indigène n'est plus, et de loin, le principal facteur déterminant).
Ces productions ont été individualisées à la fin des années 1970 (Arcelin 1979, 145-195) et ont fait l'objet de nouvelles caractérisations quelques années plus tard (Arcelin 1985, 116-121) ainsi que de compléments chronologiques, métrologiques ou diffusionnels plus récemment (Bats 1988, 195-197; Bertucchi 1989, 61; Gantès 1992, 177; Séguier 1992, 438). Ce sont essentiellement les technologies de façonnage et de finition (préparation des pâtes argileuses; haute qualité du modelage; similitude de détails) qui individualisent la vaisselle de ce groupement d'ateliers des autres productions locales, parfois morphologiquement proches par traditions ou emprunts. L'argile de base est une kaolinite ferrugineuse, dégraissée par ajout de particules de calcite magnésienne et de dolomite broyées (aspect blanc de 0,1 à 0,5 mm et en fréquence de 500 à 1000 au cm2, pour une épaisseur des parois de 3 à 4 mm). La cuisson a eu lieu en atmosphère réductrice, principalement au stade de la post-cuisson: 75 % des épaisseurs et 91 % des surfaces des échantillons analysés sont à dominante grise, plus ou moins accentuée. Si quelques vases (surtout des pots) sont traités en surface (polissage du col, peignage de la panse) et décorés (ligne ondulée à l'épaulement) à l'instar des autres fabrications non tournées régionales contemporaines (ex.: CNT-MAS 1a1 ou 1a2), l'essentiel de la vaisselle (et avant tout celle résultant de prototypes méditerranéens) est simplement à surfaces lissées (soigneusement, sur engobe; aspect mat) et inornées. La volonté de conserver l'apparence visuelle des modèles tournés est évidente, et perceptible jusqu'aux détails de finition des bords, des lèvres et des anses plaquées à l'extérieur.
La composition de cette vaisselle peut se distribuer en sept ensembles de formes principales. Toutes n'ont pas eu la même destination utilitaire, ni la même fréquence de fabrication. Principale constatation, unique pour cette technologie dans le Sud-Est méditerranéen: la majorité des vases produits se rapproche de formes de type gréco-italique. Ainsi les jattes CNT-MAS 4c, copie d'un modèle de lopas (voir par exemple Thompson 1934, D72; Robinson 1959, F76 et 77), représentent à elles seules 55 % des unités diffusées. Avec la forme 5a, complémentaire de la précédente et inspirée de la caccabé grecque, ces chiffres montent aux alentours de 70 à 75 %! Corollaire normal, la forme de tradition indigène CNT-MAS 1a est limitée à environ 20 % des exemplaires fabriqués (au lieu des 55 à 70 % dans les vaisselles non tournées standards). Choix morphologiques et proportions découlent de la raison d'être de ces ateliers: produire de la vaisselle de cuisine pour Marseille grecque et ses colonies (diffusion côtière pour l'essentiel, de Nice à Agde et vers Toulouse); secondairement, et du simple fait de leur existence, pour les populations indigènes des régions limitrophes (diffusion restreinte).
En l'absence d'une découverte concrète des ateliers, les analyses typo-chronologiques et celles des composants argileux concordent pour situer ces derniers au pied du versant nord de la chaîne de l'Etoile, barrière septentrionale des plaines marseillaises (Arcelin 1985, 120-121). A l'exception de quelques habitats indigènes de contact, ce sont les circuits grecs qui profitent en priorité de cette vaisselle dès les alentours de 175 av. n. è. (Gantès 1992, 177; Bats 1988, 197; Bats à paraître A). La diffusion terrestre, centrée sur l'actuel département des Bouches-du-Rhône, se compose principalement des formes traditionnelles du monde celto-ligure; elle débute modestement vers le milieu du IIe s. pour atteindre son apogée entre 120 et 50 av. n. è. La fin de l'indépendance du domaine économique de Marseille (en 49 av. n. è.) entraîne la rapide disparition de ces ateliers provençaux.
Etudes régionales de référence pour la céramique non tournée des ateliers de la région de Marseille
Provence: Arcelin 1979; 1985; Bats 1988; Bats à paraître A; Bertucchi 1989.