La céramique grise roussillonnaise


[Isabelle Rébé
Centre Archéologique de Ruscino]


La céramique grise roussillonnaise est une céramique fine tournée à cuisson réductrice, produite en Roussillon de manière continue entre le milieu du VIe siècle avant J.-C. et le début de notre ère. Cette production a été mise en évidence principalement à Elne (Grau 1969) et à Ruscino (Claustres 1966 et 74, Nickels 80, Rébé 2003) où elle constitue une forte proportion du volume des collections des fouilles anciennes. Notre connaissance de cette céramique est donc liée aux stratégies de recherche qui ont prévalu à Ruscino (fouille d'horizons du Ier âge du Fer et de nombreux silos du second âge du Fer dans les années 1950/1960, fouille des niveaux romanisés à partir de 1975). C'est ainsi à la fois sur la documentation ancienne (Ruscino, Elne, Peyrestortes) et sur des informations issues des fouilles plus récentes à Ruscino, que s'assoit cette étude, ce qui explique l'imprécision de certaines datations.
De par la longévité de sa production et les emprunts successifs faits aux répertoires grec, catalan, italique mais également indigène, cette céramique a reçu diverses appellations (grise monochrome, ampuritaine..) reflétant les diverses périodes étudiées. Le terme plus général de céramique grise roussillonnaise permet d'apprécier sur la longue durée l'évolution d'un produit dont le succès local fut constant (à Ruscino, il constitue entre 40 et 50% de la vaisselle rejetée de -500 à -30 av.n. è.).Cette appellation convient à un faciès local qui, dès le début du Ve siècle avant notre ère, se distingue nettement du Languedoc et de l'Ampurdan par la prédominance des céramiques à cuissons réductrices.

Description de la pâte :
La pâte est peu sonore et peu dure. Elle ne présente aucun dégraissant, son grain est fin et son toucher doux, presque «savonneux ». Elle est toujours finement et régulièrement micacée; les particules de mica magnésien sont visibles à l'oeil nu (entre 0,005 et 0,3 mm).
La couleur varie du gris verdâtre au beige rosé; dans le cas le plus fréquent la surface (externe ou interne) est gris foncé et la tranche est brun clair. Souvent la surface est également brune. Les tessons gris à cœur paraissent plus cuits que les bruns (pâte plus dure, cassante et sonore). Cette variabilité de couleur est mise sur le compte de différences de cuisson et non de composition de pâte.
Le traitement de surface consiste en un lissage soigné des surfaces les plus visibles ou accessibles : surface intérieure pour les formes ouvertes, extérieure pour les formes fermées, entièrement pour les formes ouvertes les plus petites (coupelles). Ce lissage est exécuté à l'aide d'un objet dur dont le passage répété laisse de fines traces parallèles bien observables et provoque un net brunissage. Celui-ci peut facilement être confondu avec un engobe, notamment sur les céramiques les plus anciennes (VIe- Ve siècles avant notre ère) où cette surface sombre assez épaisse est parfois vacuolée; à la fin du Ier avant notre ère, la qualité du lissage diminue notamment sur les vases fermés (l'intérieur des coupes et des plats continuant à être soigné).

Evolution des formes et décors :
Au milieu du VIe siècle avant notre ère, les premières formes représentées sont largement inspirées par le répertoire grec (plat à marli, coupe à anse et urne à col haut), parfois influencées par la céramique non tournée locale (urnes à pied haut). Dès le début du Ve siècle av., la céramique grise locale constitue plus de la moitié de la vaisselle utilisée ; si son répertoire s'apparente alors à celui des grises monochromes, un faciès local s'affirme avec la production de jarres à col bas d'ambiance ibéro-languedocienne, l'absence de gobelets carénés, de coupes à profil tendu et bord convergent, la rareté des oenochoés. En outre, la céramique grise roussillonnaise est toujours dépourvue du décor ondé typique des autres céramiques grises monochromes, et n'est jamais engobée.
Au début du IVe, le répertoire se diversifie : apparition tardive des oenochoés, des olpés et surtout des coupes carénées; désormais le fond des coupes est plat ou annulaire. On notera de rares plats à poisson; le plat à marli évolue vers une version carénée avant de disparaître au début du IIIe avant notre ère.
Au second siècle avant notre ère, le renouvellement se poursuit à la fois par un rapprochement sensible avec le répertoire de la côte catalane, et par l'émergence de formes originales et standardisées (coupe à bord déversé, petit« canthare » à tige, jarres à bord plat horizontal) qui vont, pour certaines, perdurer jusqu'au Ier siècle avant notre ère.
Le Ier siècle avant notre ère voit la production de formes nouvelles, inspirées de la céramique campanienne et de la céramique celtique, et surtout l'abandon quasi-total, au milieu du siècle, des formes de céramique grise roussillonnaise typiques du second âge du Fer (seules les coupes à bord convergent GR-ROUSS 1242 restent représentées après -50). L'utilisation du décor estampé, également dès le milieu du Ier av. n. è. à Ruscino, constitue une nouveauté ; il s'agit d'un décor de rouelles, de feuilles ou autres motifs (plus de 70 motifs différents), estampé à l'aide de matrices sur l'épaulement de grandes jarres. Enfin ce milieu du siècle marque une accélération dans la latinisation du répertoire (plats, gobelets) qui s'accentuera encore à la période augustéenne (davantage de plats, des couvercles, imitation de sigillées).
Au cours du Ier siècle de notre ère, le répertoire évolue peu, avec une nette prédominance de la coupe à bord ourlé GR-ROUSS 1261 et des gobelets GR-ROUSS 1400 ; les décors estampés semblent abandonnés, au profit du décor peigné ou guilloché. Les caractéristiques propres à la céramique grise roussillonnaise, comme la qualité du lissage, s'estompent; après +50 apparaissent à Peyrestortes des vases à pâte grise, dure, à peine micacée, non lissée : cette série n'a pas été prise en compte en tant que céramique grise roussillonnaise et marque la limite du champ de cette étude.

Diffusion :
Il demeure difficile d'apprécier la distribution de la céramique grise roussillonnaise dans l'état actuel de la recherche. À Pech Maho, en marge du Roussillon, on note pour le IIIe siècle av. n.è. la présence de céramique grise à la pâte et aux formes semblables ; en Cerdagne, de la céramique grise à décor estampée est signalée à Llo. En Roussillon même, la céramique grise roussillonnaise est présente en proportion bien moindre sur les petits habitats ruraux que sur les principales agglomérations de Salses, Elne ou Ruscino où elle constitue souvent près de la moitié du volume de vaisselle : elle semble finalement assez peu utilisée en dehors des lieux même de sa production.

Bibliographie :

Claustres 1966 : G. Claustres, A Ruscino il y a plus de deux mille ans un atelier de céramique ornée a existé, dans Cahiers d'Etudes et de Recherches Catalanes d'Archives 31, 1966, p. 5-6.
Claustres 1974 : G. Claustres, La céramique grise utilisée autrefois en Roussillon (du VI ème av. n. è aux premiers siècles de n. è.) dans Le site antique de Ruscino, catalogue de l'exposition du 29/1 au 28/é/1974 au Palais des congrès de Perpignan, éd. du Castillet, Perpignan, 1974, p. 36-44.
Grau 1969 : R. Grau, Céramiques à décor estampé trouvées sur le site d'Illiberris, dans Cahiers ligures de préhistoire et d'archéologie 18, 1969, p. 22-30
Nickels 1980 : A. Nickels, Les plats à marli en céramique grise monochrome de type roussillonnais, dans Barruol (dir.), Ruscino I, supplément 7 à la Revue Archéologique de Narbonnaise, Paris, 1980, p. 155-119.
Rébé 2003 : I. Rébé, La céramique grise roussillonnaise du premier âge du Fer, dans Marichal R., Rébé I. (Dir) Les origines de Ruscino, du néolithique au premier Âge du fer. Monographies d'Archéologie Méditerranéenne 16, Lattes 2003, p.267-275.
Rébé 2007: I. Rébé, La céramique grise roussillonnaise: typologie et évolution à Ruscino autour du changement d'ère, mémoire de Master 2 sous la direction d'E. Gailledrat, Université de Montpellier III, 2007, 100 p.

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