Céramique commune kaolinitique

[Joël-Claude Meffre
Claude Raynaud]

Parmi les nombreuses productions regroupées sous la vague appellation de 'céramique commune grise gallo-romaine', il en est une qui s'individualise nettement par le choix de l'argile utilisée, par les caractères techniques, par le répertoire, la diffusion et la durée dans le temps: il s'agit de la poterie réfractaire à argile kaolinitique.
Dans sa 'Note sur la céramique commune grise gallo-romaine de Vaison', Chr. Goudineau (1977) présentait un ensemble de vases tournés, mis au jour dans la Maison au Dauphin à Vaison, s'échelonnant de l'époque augustéenne à la fin du Ier s. de notre ère. L'auteur distinguait à vue d'oeil au moins deux productions possibles: 'une production à surface claire, parfois à reflets bleuâtres, et une autre série à surface plus sombre, allant jusqu'au gris anthracite' (Goudineau 1977, 154-155). Il suggérait que ces vases spécifiques aient pu être fabriqués dans la région de Vaison.
Suite à une première étude physico-chimique effectuée ultérieurement sur ces productions par J.-Cl. Alcamo et à une localisation plus précise des gisements d'argile kaolinitique, il s'est avéré qu'aucune formation géologique contenant de type d'argile ne pouvait exister dans une région large autour de Vaison, au nord du Ventoux (Alcamo 1986; Meffre 1985). D'où le contresens dans certaines publications où l'on fait référence à la céramique grise de Vaison comme si elle était fabriquée dans cette cité, alors qu'elle a été simplement mise en évidence pour la première fois à Vaison (Meffre 1992, 117).
Les lieux de production se rencontrent dans la moyenne vallée du Rhône, sur la rive gauche, dans la Drôme et en Vaucluse, du Haut-Empire au bas Moyen-Age, et sur la rive droite dans l'Uzège (Gard) durant l'Antiquité tardive (CATHMA à paraître) et la période médiévale. Il s'agit de zones où affleurent en abondance les argiles kaolinitiques, minéral réfractaire oligocène toujours associé à des bancs sableux (Triat 1972).
Dans la Drôme, un atelier des IIe et IIIe s. est attesté à Dieulefit, sous la forme d'un dépotoir avec rebuts de cuisson et pièces techniques (Goudineau 1978); un autre atelier du IVe s. est attesté à La Répara (Alcamo 1986). Dans le Vaucluse, un dépotoir de four probable a été trouvé à Bédoin, zone riche en kaolinites (Meffre 1985). Par ailleurs, deux ateliers de l'Antiquité Tardive ont fait l'objet de fouilles: l'un sur la rive gauche du Rhône, il s'agit du site de Noyères à Bollène (Thiriot 1986), l'autre sur la rive droite près d'Uzès, à Masmolène (CATHMA à paraître).
En résumé, pour la période antique, des ateliers sont largement attestés en zone sud-voconce, à proximité du Rhône ou au pied des massifs préalpins. L'Uzège demeure une autre grande région productrice, que ce soit pendant l'Antiquité (pour le Haut-Empire probablement, pour l'Antiquité Tardive assurément); de plus, on y connaît l'importance des productions médiévales et modernes. On doit y ajouter les productions médiévales de Bollène, (Vaucluse), de Dieulefit (Drôme) et de Saint-Maximin dans le Var (Alcamo 1986, Thiriot 1986).
Le caractère principal de l'argile utilisée est d'être réfractaire: elle se prête donc particulièrement bien à la confection de vases à feu. La pâte est toujours dure, serrée, souvent feuilletée, particulièrement résistante, autorisant une finesse des parois peu courante parmi les céramiques communes. Par leur origine géologique, ces pâtes à base d'argile kaolinique sont naturellement sableuses.
Les produits sont très majoritairement traités en cuisson réductrice suivie d'une post-cuisson réductrice. Vers 800°/900°, les pâtes adoptent un coeur blanc farine finement sablé. La post-cuisson leur donne un aspect variable sur une même pièce , pouvant osciller du blanc au noir, en passant par le gris anthracite, le gris souris; les tons bleutés sont très fréquents. On note aussi souvent des craquelures grises ou bleuâtres en surface. Cette catégorie livre encore quelques vases à post-cuisson oxydante, à ton rosé, lie de vin, jaune-orangé ou brun, de typologie analogue aux productions grises.
La fabrication est toujours réalisée au tour; si l'on note généralement une bonne finition et une régularité des parois, ainsi qu'une relative standardisation des vases, on rencontre quelques variarions avec le temps et les ateliers. A côté des formes issues de la tradition protohistorique, on trouve des vases d'inspiration italique imitant la vaisselle métallique ou la céramique fine (Goudineau 1977): ces productions précoces dénotent l'existence d'ateliers d'un haut niveau technique.
Cette poterie apparaît dans des niveaux augustéens à Vaison (Goudineau 1977; Alcamo 1986). A Nimes, elle est majoritaire dès le Ier s. de notre ère; en zone voconce, elle se développe considérablement à partir du IIe s. de notre ère pour dominer totalement le vaisselier des sites consommateurs drômois et nord-vauclusiens. Par exemple, au Mas des Thermes à Orange, dans le courant du IIIe s., sur 5000 tessons de céramiques communes, les produits kaolinitiques comptent 4800 tessons (Thollard 1988). Dans les sites du Comtat les proportions varient entre 38 et 60 % entre le IIe et le IVe siècle (Meffre 1992, 120).
Du fait de la proximité du Rhône, cette poterie a connu une assez large diffusion. On en compte une forte proportion à Arles et à Saint-Blaise, et plus généralement en Provence occidentale. Cette vaisselle reste majoritaire dans la région nimoise, mais sa place s'amoindrit en allant vers l'Ouest. Elle devient minoritaire dans le bassin de Thau et la vallée de l'Hérault et semble disparaître dans le Biterrois. Si l'on prend comme exemple la région Lunelloise, dans laquelle les céramiques font l'objet d'études particulièrement fines, on observe une phase d'afflux important aux Ier-IIe s. de n. è., puis une phase de déclin au IIIe s. Une nouvelle production kaolinitique très particulière et probablement de fabrication plus locale, la céramique à pisolithes, devient prépondérante à la fin du IVe et surtout au Ve s., puis elle est remplacée par une poterie kaolinitique plus classique au VIe s. et durant une large part du haut Moyen Age (Raynaud 1990, 221-250). Il s'agit là de première données partielles. Une enquête quantitative et systématique sur la diffusion de cette poterie et sa chronologie reste à promouvoir.

Etudes régionales de référence pour la céramique commune kaolinitique

Provence: Goudineau 1977; 1978; Alcamo 1983; 1986; Meffre 1985; 1987; 1988; 1988A; Thollard 1988; Thiriot 1986.
Languedoc oriental: Goury 1989 (avec une production kaolinitique probablement gardoise mais non identifiée en tant que telle); CATHMA à paraître; Raynaud 1990.

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